Texte de présentation de Stone Puzzles (panneau 2) et de la collection des pierres taillées (panneau 3)
D'un fragment...
Quand j'ai filmé les mains de mes proches en train de jouer avec mes puzzles naturels, j'ai eu l'impression de dresser le portrait de « cerveaux en action ». Il faut dire que les formes inhabituelles de ces « casse-têtes minéraux » rendent leur manipulation difficile.
Il semblerait que ce lien entre main, intelligence et pierre ait une longue histoire puisque selon certains spécialistes « La taille de la matière lithique implique la formation et l'évolution d'importantes capacités cognitives », ce qui signifie entre autre que c'est la taille du silex qui aurait permis à l'homme de développer son intelligence. Je ne sais pas si cette idée est vérifiable mais je trouve beau qu'on rassemble ainsi main, minéral et intelligence humaine, bien que la relation immémoriale à la taille ait des revers plus sombres. Dans cette propension à vouloir fragmenter le monde, à vouloir le mettre en pièces (du silex à l'atome des centrales nucléaires), on pourrait en effet reconnaître un des traits caractéristiques de l'intelligence humaine.
La nature elle même a aussi tendance à se fractionner avec ou sans intervention humaine. On le voit dans le cliché à l'entrée de l'exposition : toute la montagne est un énorme puzzle et mes pierres cassées ne sont que les pièces d'un puzzle toujours plus grand. Les petits morceaux en bas de l'image se sont déjà regroupés et n'attendent plus que le passage d'une grosse averse pour rejoindre peu à peu le fleuve. Il se peut aussi que ce paysage-puzzle soit encore plus gigantesque qu'on le croit à première vue puisque les planètes sont constituées de fragments d'étoiles ayant explosé et se rassemblant par morceaux pour créer de nouveaux mondes.
Dominique Robin
… à l'autre
Tous les fragments de roche taillée, du plus petit déchet de fabrication à l'outil abandonné par son utilisateur apportent au préhistorien de précieuses informations sur notre ancêtre, ses aptitudes physiques, son intelligence, ses adaptations, son économie..
L'homme préhistorique a investi dans un geste aussi quotidien que de faire un outil et l'utiliser, une somme immense de connaissances empiriques et d'habileté ; il a développé dans cette simple action des concepts techniques qui ont marqué les différentes étapes de son évolution physique et psychique. Ainsi, dans les opérations de taille, le projet est formé à partir d'un schéma conceptuel, d'ordre intellectuel qui est lui-même mis en application selon une suite d'opération que l'on nomme « schéma opératoire de taille ».
Si la sélection des roches qui ont été taillées peut être considérées comme hétéroclite en variété, elle est cohérente du point de vue de leur propriété mécanique. Le silex par exemple est une roche très dure mais suffisamment cassante pour être débitée en morceaux. Sa dureté permet de l’utiliser pour travailler des matériaux plus tendres comme le bois, l’os, l’ivoire qui seront incorporés dans des outils permettant eux-mêmes d'améliorer les objets lithiques. Le silex a également la propriété d’être très homogène ce qui veut dire qu’une même manière de le travailler aboutira au même résultat. L’énergie mécanique transmise par une percussion se propage comme une onde dans la pierre et provoque de belles cassures régulières. De plus, les morceaux débités présentent des arrêtes tranchantes, idéales pour devenir des outils à leur tour.
Du galet aménagé à la production de lames néolithiques du Grand Pressigny, au façonnage de haches polies, les acquisitions technologiques de lHumanité sont enregistrées dans la matière et c'est en analysant la morphologie des objets que sont décodés à travers l'enchaînement des gestes associés, il y a des millénaires dans la fabrication et l'utilisation des outils, les éléments de la technologie et le comportement de l'Homme.
D'après Jean-Philippe Rigaud