Docteur en Histoire de l'art, Nathan Réra travaille sur les représentations des génocides, l'étude des fonds d'archives (audio)visuelles et les relations entre les arts. Il a signé deux ouvrages aux éditions Rouge Profond : "De Paris à Drancy ou les possibilités de l'Art après Auschwitz" (2009) et "Au jardin des délices – Entretiens avec Paul Verhoeven (2010)". Il a également écrit le texte du dernier livre du photographe Christophe Calais, "Un destin rwandais" (2014), publié aux éditions. Source : http://www.lespressesdureel.com
D'autres textes de Nathan Rera sur Dominique Robin (Inzu) :
Nathan Réra : Quel a été le point de départ d’Inzu ?
Dominique Robin : Début 2008, l’ONG FIDESCO m’a proposé une collaboration. Leur idée était que je crée une installation à partir d’une de leur action de solidarité internationale. Ma première réaction a été l’hésitation : j’avais conscience du fossé qui séparait une ONG catholique de ma propre démarche, celle d’un artiste qui développe un univers personnel voire poétique. Nous avons finalement choisi une de leur action – le dispensaire de Conakry en Guinée parce que c’est le plus ancien projet de l’organisation – et je suis parti une première fois en repérage. Arrivé en Guinée, j’ai d’abord eu la sensation de ne pas être à ma place, au point d’envisager de rentrer. C’était mon premier voyage en Afrique, je me retrouvais dans l’un des dix pays les plus pauvres au monde, dans un dispensaire où l’on soigne près de cinq cents personnes par jour... Est-ce la place d’un plasticien ? Je suis finalement resté et les voyages se sont succédés, donnant naissance à deux créations : l’une produite par l’ONG (Un dispensaire en Guinée), l’autre autoproduite (Étudiants à Conakry).
Plus tard, la branche allemande de Fidesco m’a sollicité pour que je développe un nouveau projet au Rwanda. Elle y aide un centre d’accueil pour les enfants des rues, créé avant le génocide par un couple de rwandais (Cyprien et Daphrose Rugamba). Le centre est toujours géré par des Rwandais, les Européens intervenant essentiellement sur les plans logistique et financier. Le lien historique entre l’Allemagne et le Rwanda, qui remonte aux premiers jours de la colonisation, est à la fois intime et extérieur, dans la mesure où les Allemands n’ont pas été mêlés aux événements tragiques du pays comme ont pu l’être les Belges ou les Français. Je suis parti au Rwanda avec une certaine appréhension. Le génocide des Tutsi est synonyme pour moi, comme pour beaucoup de gens de ma génération, d’une forme de désastre intérieur, tout comme d’ailleurs la guerre civile en ex-Yougoslavie. Je me souviens des courriers que nous échangions avec mes amis à ce sujet, en 1994. Dans mon esprit, l’idée de génocide était liée à la mémoire de nos grands-parents, voire même à des images cinématographiques. Désormais, elle nous concernait directement et, nous aussi, nous restions dans notre torpeur.
Dans Murmures (2009) – où Tchernobyl est évoquée à travers la lecture d’un bref extrait du texte de Svetlana Alexievitch, La Supplication –, vous suggérez la catastrophe par des sensations, notamment sonores, plus que vous ne la représentez visuellement. Cette œuvre me semble particulièrement emblématique de votre manière d’appréhender les questions de représentation. Dans son livre intitulé Quand les images prennent position, Georges Didi-Huberman explique la nécessité de trouver la juste distance en représentation : ni trop près, au risque de l’aveuglement ; ni trop loin, pour ne pas sombrer dans l’abstraction pure...
Dans un autre texte consacré à Alfredo Jaar, Didi-Huberman dit que, face à l’image, « notre imagination exige de nous à chaque fois un art de funambule », entre explication et implication. Il écrit: « Explication et implication se contredisent sans doute comme la rectitude du balancier contredit l’improbabilité de l’air. Mais il ne tient qu’à nous de les utiliser ensemble en faisant de chacune la façon de déplier l’impensé de l’autre (1). » Je trouve que cette image – qui s’adresse au “regardeur” – est particulièrement juste du point de vue du créateur aussi. C’est en effet en faisant la liste de tous les travers possibles – faire parler mon émotion, chercher à convaincre, m’impliquer comme si j’étais un membre de l’ONG, etc. – que j’ai fini par trouver une position tenable comme artiste.
(1) Georges Didi-Huberman, « L’émotion ne dit pas “je”. Dix fragments sur la liberté esthétique », in Alfredo Jaar. La politique des images, Zurich, JPR Ringier/Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, 2007, p. 59.
On retrouve précisément cette idée dans Inzu : l’œuvre a pour thème les enfants des rues. À travers leurs récits, l’histoire tragique du Rwanda remonte par strates. Je pense en particulier au témoignage d’un petit garçon qui explique que son père va être jugé à une Gacaca... Mais vous optez pour un dispositif distancié, pour une forme de retrait qui laisse l’histoire du génocide à la périphérie des images. Comment en êtes-vous arrivé à définir un tel point de vue ?
Dès le départ, j’ai su qu’il fallait me concentrer le plus modestement possible sur le quotidien de ces enfants. L’histoire du génocide était tellement envahissante qu’elle finirait par “transpirer”. J’ai l’impression qu’en photographiant seulement des fleurs j’aurai pu dire à mon insu quelque chose sur la guerre. Tous les enfants des rues avec qui j’ai parlé prennent de la drogue, et tous aussi se sont avérés être des victimes indirectes du génocide – parce que leur père est en prison, ou parce que leur mère est victime de souffrances post-traumatiques... Bien sûr, les enfants des rues existaient au Rwanda avant le génocide. Mais quand Festus, l’ancien directeur du centre, raconte que les enfants sniffent les os des morts, qu’ils broient après les avoir récupérés dans les fosses communes, on sent bien que cette rumeur urbaine est porteuse d’un sens profond qui relie les enfants des rues de Kigali à l’histoire récente. D’un certain point de vue, ils sont la mauvaise conscience du Rwanda, une forme de retour du refoulé.
Pourquoi avoir choisi la photographie pour Inzu, et pas un autre mode de représentation artistique ?
Pour les repérages lors de mon premier voyage en Guinée, je suis parti avec un appareil photo et un enregistreur. J’aurais pu réaliser ensuite une installation à partir de moustiquaires nouées, comme je l’avais envisagé au départ ; j’ai finalement opté pour une installation photographique accompagnée d’extraits d’interviews. Pourtant, j’ai l’impression que la photographie n’est pas le meilleur medium. La photographie est née et s’est développée en même temps que les grands empires coloniaux ; j’ai le sentiment que quelque chose, dans la mécanique de l’appareil, est lié au contexte historique qui l’a vu naître, un certain regard colonial en somme. Mais comme souvent dans mes créations, le travail préparatoire a fini par devenir l’œuvre elle-même. J’ai continué par la suite à appliquer le dispositif de création mis en place en Afrique (un appareil photo, un enregistreur) dans d’autres situations, comme par exemple dans un laboratoire de recherche du CNRS (Éléments, 2011).
Comment concevez-vous le rapport entre l’image et le témoignage ?
Il y a tout d’abord une phase d’écoute. Le son est important dans ma démarche. Après les avoir photographiés, je quitte toujours les gens en les remerciant ; lorsque je recueille leur parole, ce sont eux le plus souvent qui me remercient... Le micro est donc perçu comme une offre, tandis que l’appareil photographique est perçu comme une machine qui prend. Presque tous les textes de mes installations sont constitués d’une série de courts extraits d’interviews, ils fonctionnent un peu comme des photographies sonores.
À la manière d’Alfredo Jaar, les mots ont dans votre œuvre autant d’importance (voire parfois plus) que les images, ce qu’atteste votre livre-installation La maison oubliée (2013), mais aussi le catalogue d’Inzu, où le témoignage oral occupe une place centrale. Voyez-vous une filiation entre votre démarche et la sienne, pour ce lien qu’elle tisse entre le langage et l’image ?
Ce lien est en effet sans cesse mis en œuvre dans mon travail. Dans La maison oubliée, le texte lui même fait image. Dans Inzu ou "Un dispensaire"..., j’ai conçu la photographie et le texte comme les pièces d’un puzzle inconstructible. Une forme d’unité, de cohérence peut cependant avoir lieu, mais elle réside alors dans l’imagination et dans la mémoire du spectateur. Il me semble que c’est dans sa propre mémoire que se situe sa liberté face à ce qui lui est offert comme réalité tangible. Avec Fidesco, nous avons mené au départ une réflexion autour de la liberté du spectateur devant les images dites “humanitaires”. Ces images qui nous arrivent constamment sont toujours construites de la même façon : elles enferment le spectateur comme si les pièces du puzzle étaient verrouillées. Je les perçois même comme des images qui assoient, tandis que je cherche par mes dispositifs à mettre en mouvement. Il faut en effet marcher environ 100 mètres pour découvrir l’ensemble de la bande d’images et de textes d’"Un dispensaire"... Mes installations réalisées en Afrique proposent deux modes d’appréhension du réel que je tiens à exposer séparément dans l’espace : l’un est consacré à la photographie (il est sans texte), l’autre aux interviews (il est sans image). Ces deux regards sur le réel se complètent, se contredisent, s’enrichissent. En ce sens mon travail est interactif (littéralement agir entre) parce qu’il y a du jeu, parce qu’il y a un espace pour la mémoire et l’imagination du public.
Pour "Un dispensaire en Guinée", le livre constitue donc l’objet même de l’exposition, déroulé à la manière d’une pellicule de film – les images au recto, les textes au verso. Qu’avez-vous imaginé dans le cas d’Inzu ?
Pour Inzu, j’ai conçu une sorte de charpente assez rudimentaire avec des tubes en cuivre, qui rappellent la couleur de la terre au Rwanda. Les témoignages sont reproduits au verso des images : ils reprennent la mise en page de l’opuscule (avec des variations de taille pour les lettres, disposées sur un fond noir ou blanc). Ne figure, dans le petit catalogue, aucune image de l’exposition. Je voulais ainsi solliciter la mémoire des visiteurs, en les obligeant à faire ce va et vient entre les témoignages et les images.
Les enfants des rues ne parlent que le kinyarwanda. J’ai donc enregistré leur récit de vie avec l’aide d’un interprète. Bien entendu, nous avions déjà sympathisé, nous avions joué au ensemble etc., et je leur avais demandé s’ils accepteraient de me parler. Ce sont des moments que j’ai trouvés impressionnants, souvent difficiles parce que ces témoignages sont durs. Parfois, pendant leur récit, les enfants marquaient une pause, une respiration. C’est pendant ce court silence que leur regard partait alors vers l’extérieur, à la recherche d’un souvenir et c’est uniquement dans ce laps de temps que je me suis permis de déclencher l’appareil photo. Il me semble que ces instants portent en eux une forme de suspension du temps donnant tout son sens à la photographie. À la fin des entretiens, l’interprète m’a laissé seul et les enfants sont revenus dans la salle de classe où nous nous étions installés ; ils ont continué alors à me raconter leur parcours en kinyarwanda, me confiant peut-être ce qu’ils n’avaient pas osé dire auparavant devant le micro... Tout en parlant, ils ont dessiné sur le tableau à la craie blanche une série de maisons. Un enfant des rues dessinant une maison dans une salle de classe... Beaucoup de choses sont dites en une seule image, c’était pour moi comme un cadeau. L’un d’eux a écrit sur le tableau « Inzu » (la maison en kinyarwanda), et c’est ainsi que j’ai baptisé l’installation.
Par la suite, je me suis promené dans le paysage pour photographier ces maisons, belles et étranges, qui ressemblent justement à des dessins d’enfants ou même à des symboles signalétiques : elles ont l’air de dire « je suis le signe d’une maison ». Elles ont aussi quelque chose de la chambre photographique. Pour cette raison, j’ai eu l’intuition de capter ce moment unique où les enfants revenaient chez eux, après une longue absence, et passaient le seuil de leur maison. De la lumière à la pénombre... En prenant ces images, c’est comme si deux “appareils” se regardaient. Dans mes créations, je cherche aussi à interroger mon – ou même notre – regard porté sur l’autre, il y a le désir de pointer du doigt le miroir inclus dans chaque image. Sur l’une des photographies, on remarque que le garçon porte des habits neufs, ceux que le centre lui a offerts pour son retour dans la maison familiale. Il vient de faire des kilomètres de piste, il a marché dans la montagne et se retrouve dans cette petite maison en terre, avec ses baskets toutes neuves, au milieu de la boue. La maison n’a que deux pièces et l’une d’elles est occupée par un cochon... Dans son cas, toutes les solutions sont mauvaises : le laisser dans la rue ? C’est impensable, car il y règne la drogue, la prostitution et la mafia. Le laisser dans le centre ? Ça n’a pas de sens non plus. On le renvoie donc vers sa famille, mais il risque de nouveau d’être confronté à toutes les raisons qui l’on poussé à partir. Les enfants du Centre Rugamba doivent fournir un énorme effort de rééducation sociale. Lorsque j’étais étudiant, j’ai été très ami avec un clochard. Il m’a expliqué que, quand on vit dans la rue, on peut perdre tout ce que l’on croyait définitivement acquis au point d’oublier son propre nom ! C’est aussi ce qui arrive à ces enfants rwandais
Aujourd’hui, le paysage rwandais est en pleine mutation, puisque les maisons traditionnelles en terre battue ont tendance à être détruites, pour des raisons sanitaires, afin d’être reconstruites en dur. Les maisons à abattre sont signalées par une croix rouge peinte sur la porte.
En effet, j’ai photographié aussi ces maisons. Cela rappelle confusément la manière dont les Israélites badigeonnaient de sang les montants de leurs portes pendant la Pâque. Les maisons ont joué un rôle prééminent durant le génocide : les gens convoitaient la demeure et la parcelle de terre de leurs voisins et savaient si telle ou telle maison était “tutsi” ou “hutu”. On trouve dans le paysage ce que j’appelle les “maisons-crâne” : ces maisonnettes laissées à l’abandon et dont on a retiré les parties les plus coûteuses de la construction, comme les petites briques d’aération dans le linteau des fenêtres. Elles évoquent la mémoire du génocide parce que souvent ce sont des maisons de victimes de l’extermination que personne n’a pu – ou osé – ré-habiter. Dans ce contexte, il faut bien dire que cette manière de faire de l’État – mettre des croix rouges sur des maisons familiales... – est d’une violence symbolique problématique.
Vous parlez, pour définir votre pratique de la photographie, de « l’entre-deux » : vos images traduisent une relation constante entre deux temporalités, l’éphémère et le durable. Dans Inzu, la série de dessins sur le tableau noir relève précisément de cette logique. Le tableau est une surface sur laquelle on inscrit des signes, mais aussi une surface perpétuellement vouée à l’effacement, où l’écriture est obligatoirement éphémère. Cela avait-il une signification particulière, au regard de la vie des enfants des rues et, plus généralement, de l’apprentissage de l’histoire au Rwanda ?
Effectivement, même si c’était inconscient au départ. J’ai dans mon atelier un tableau Velleda, sur lequel je dessine et j’écris, et que je photographie de temps en temps pour garder une trace. C’est peut-être pour cette raison que j’ai réussi à saisir les dessins des enfants. Indépendamment de cela, on peut se demander ce que les enfants dessinent : s’agit-il de leur véritable maison ? De la maison de leurs rêves ? Ou, au contraire, de la maison dans laquelle ils ne veulent pas rentrer ? En tout cas, ce thème de la maison me convient parfaitement, il fait partie de mes thèmes récurrents, de mes obsessions même. Je ne cherche pas à rendre compte de mes émotions face à la marche du monde mais je n’hésite pas à mettre en relation des phénomènes qui sont en jeu aussi bien dans ma vie personnelle que dans les relations sociales que j’observe.
Avez-vous eu l’envie de montrer Inzu au Rwanda ?
Dès le départ du projet, j’ai prévu d’exposer mes créations guinéennes dans leur pays d’origine. Fidesco a même offert le taxi à tous ceux qui avaient participé à Un dispensaire... pour qu’ils puissent voir l’exposition organisée à Conakry. Pareillement, il me semblait important d’exposer Inzu au Rwanda. À ce jour, cela n’a malheureusement pas été possible, notamment pour des raisons de financement. J’ai tenté de contacter à plusieurs reprises l’ambassade de France (qui m’avait déjà aidé pour mes expositions en Guinée), sans jamais obtenir de réponse. J’aurais voulu aussi revenir et poursuivre le travail sur la maison rwandaise indépendamment des problématiques de l’aide humanitaire.
J’aimerais, pour clore cet entretien, soulever la question du rapport entre humanitaire et création artistique, que vous avez brièvement évoquée au début de notre discussion. Tout un débat consiste à critiquer les rapports entre certains photographes (Reza, Salgado, Nachtwey...) et les ONG humanitaires, qui ont abouti à une iconographie de type caritatif. Or, votre travail, libéré des contingences photojournalistiques, se distingue précisément par la capacité à ne pas céder à la rhétorique compassionnelle, et par l’habileté à créer un dispositif artistique autonome, poétique. On en revient à cet « art du funambule » dont parle Didi-Huberman...
C’est une question difficile parce qu’elle mêle des débats complexes, à différents niveaux. Le premier niveau concerne ma position d’artiste devant « la douleur des autres », pour reprendre l’expression de Susan Sontag. J’aurais pu refuser de partir travailler à ces projets, comme on me l’a conseillé à plusieurs reprises. J’aurais pu aussi partir avec l’idée de réaliser un documentaire, mettant mon vocabulaire plastique en retrait et pariant sur le fait que ce documentaire puisse faire œuvre d’art in fine. J’aurais pu enfin me dire : « Je ne fais pas une œuvre d’art, je réalise des images pour la communication d’une ONG. » Ce que je n’aurais pas pu faire en revanche – position intenable avec les enfants du Rwanda –, c’est revendiquer l’ironie comme mode d’appréhension systématique de l’art, affirmer en somme une forme de “non-présence”.
La veille de mon premier départ en Guinée, j’ai revu la conférence « Qu’est-ce que l’acte de création ? », de Gilles Deleuze. En allant travailler pour une ONG en Afrique, je me demandais si je n’étais pas en train de faire de la communication. Deleuze dit que l’information n’a rien à voir avec l’art. C’est, à mon sens, l’un des nœuds de la pensée philosophique sur l’art contemporain en France. Mon travail en Guinée et au Rwanda s’inscrit contre ce que je crois être ce présupposé : le fait que, lorsqu’un artiste construit un dispositif à partir d’une réalité – que Deleuze aurait peut être appelé “information” –, il ne fait plus de l’art à moins d’être sur le mode ironique... Toute la complexité de sa tâche est, précisément, de parvenir à dépasser ce préjugé pour construire un dispositif qui, sans trahir le réel, convoque le regard de l’artiste.
Il n’est pas question non plus de m’auto-cataloguer dans la catégorie de “l’artiste qui parle de l’Afrique ” ou du “plasticien des bidonvilles”... Je reste un modeste créateur de formes qui peut poser son chevalet partout dans le monde, même devant les fleurs de mon jardin comme je le fais en ce moment. C’est donc à partir de cette position que le travail commence. On retrouve alors, pour une installation réalisée avec les enfants des rues, toutes les autres caractéristiques propres à la création d’une œuvre d’art. On est bien en train de réaliser un autoportrait malgré nous ; on est juste un créateur de formes à la recherche d’un univers poétique ; pour autant on veut aussi – comme un funambule en effet – laisser le réel librement se développer au-delà même de ce qu’on est en capacité de comprendre. Pour revenir à votre question : ne pas céder à la mécanique compassionnelle et développer un univers poétique, c’est chercher à créer une forme vivante, autonome, qui se développe dans la liberté du regard d’autrui ; c’est donc, simplement, faire le pari de l’art.
– 4 juin 2013